About Definition of Animation

Georges Sifianos
Définir le cinéma d'animation

 

The paper puts forward the idea that animation like the cinéma in general, is a medium conscious to the concept of time. And yet, in contrary to the cinéma which conceals the conventional nature of time and its subjective point of view, animation brings it to the open and adheres to its conventionality and subjectivity. In other words, if the cinéma is considered as a concealed convention, animation is a cinéma of overt conventions.

 

Définir le cinéma d'animation.

 

Longtemps on a essayé de définir le cinéma d'animation par une approche technique. Or, la technique ne semble pas être un moyen pertinent d'évaluation en l'occurrence : si l'on prend par exemple la définition classique du cinéma d'animation comme "le cinéma image par image", elle s'avère très vite limitée comme on peut le constater si on filme un élément immobile, un mur par exemple, avec différentes cadences : à 300 images par seconde, à 24 images par seconde ou image - image, le résultat reste identique.

Le cinéma d'animation est plutôt caractérisé par son attitude à l'égard du matériau cinématographique élémentaire, l'image et le mouvement: soit par l'image soit par le mouvement, le cinéma d'animation témoigne de son caractère d'artefact. Contrairement  au cinéma de "prises de vues réelles"  le cinéma d'animation ne cherche pas à être considéré comme une "copie" de la réalité, comme un processus qui reproduit fidèlement les actions qui ont existé devant une caméra. Cette prétention du cinéma est fallacieuse par ailleurs car le cinéma ne sait toujours pas "copier" le temps. Le cinéma sait donner à ses images en mouvement une durée équivalente au temps réel d'un événement, mais il ne capte pas le temps de cet événement. Il s'ajuste délibérément sur un temps équivalent à celui d'un événement. Il y a confusion entre ce qui est identique et ce qui est analogue. Le "temps scellé" ou la "momie du changement" pour ne mentionner que Tarkovski, Bazin, et Deleuze qui reprend cette thèse plus tard, n'existent pas[1]. Contrairement aux traces imprimées réellement par la lumière sur la matière de la pellicule cinématographique (ou les autres supports d'enregistrement), le temps lui, reste insaisissable. Ces traces ne produisent pas du temps mais des images. La trace enregistrée, celle d'un morceau de fer rouillé par exemple, témoigne, bien entendu du temps, mais elle ne reproduit pas une valeur temporelle. Le temps s'enregistre perpendiculairement sur le photogramme et de façon cumulative. Pour la durée de la projection, ce temps-là est neutre. Dans la réalité, le temps ne s'arrête pas contrairement au temps "enregistré" sur la pellicule, qui est un temps morcelé par l'obturateur de la caméra. Comme le remarque Alexeieff [2] "lorsque l'obturateur de la caméra est ouvert à 45°, par exemple, les 7/8èmes de l'événement échappent à l'enregistrement"[3]. Si l'on enregistre pendant 80 minutes avec une telle ouverture d'obturateur, il y a uniquement 10 minutes du temps réel de l'événement qui sont enregistrées! Ces 10 minutes "étirées" vont donc représenter l'ensemble de l'événement pendant la projection. Ce dernier processus surenchérit : Exposée un laps de temps court, ou long indifféremment, une photo en tant qu'image cinématographique, a droit au même vingt quatrième de seconde devant la fenêtre du projecteur dans la salle du cinéma.

À l'évidence, le temps "enregistré" n'intervient pas dans la durée de l'événement représenté.

Le temps dans le cinéma n'est qu'une analogie avec la réalité. Une analogie établie par une convention, qui choisit d'appliquer une même cadence (24 ou 25 images), dans la prise et dans la projection d'une série d'instantanés photographiques.

L'erreur largement répandue, veut que l'on identifie le temps conventionnel, au temps réel. Ce qui caractérise le cinéma d'animation, est le fait qu'il n'utilise pas cette convention. Le cinéma d'animation, comme tout cinéma, propose une durée, mais au lieu de dissimuler la nature conventionnelle ou subjective de ce temps, il la manifeste et la revendique.

C'est à mon avis la différence majeure entre cinéma et cinéma d'animation.

S'il faut résumer leur différence, on peut dire que l'un, le cinéma en prises de vues réelles est le cinéma à convention dissimulée, et l'autre, le cinéma d'animation est le cinéma à convention dévoilée. Bien sûr, ces notions il faut les comprendre comme des polarités, comme des tendances. Car techniquement les ”deux” cinémas se rencontrent et se mélangent…

 

Quelques précisions :

Le laconisme séduisant de ces formules épigrammatiques, les rend à la fois efficaces et austères. Si l'on veut éviter la tentation de restreindre l'analyse que toute formule définitive induit, on pourrait revenir sur des approches plus ouvertes et en contrepartie moins précises. En voici donc trois esquisses de définition, qui nous permettraient ensuite d'apporter quelques précisions sur le sujet. On peut définir le cinéma d'animation comme ”le cinéma dont les images en mouvement témoignent de leur nature d'artefact et ne cherchent pas à être considérées comme reproduisant objectivement la nature”. Ou bien ”le cinéma dont les images et surtout le mouvement témoignent de la présence d'une intention subjective derrière l'articulation du matériau élémentaire cinématographique”. Quant à l'animation, on peut la définir comme ”l'expression par le mouvement qu'on attribue intentionnellement à des formes”.

Le terme "animation" (du latin animare) implique le mouvement puisque le mouvement est le principal indice de la vie.

En règle générale, tout le cinéma produit un "effet d'animation" à savoir, rendre vivantes les traces laissées par la lumière sur la pellicule. Sauf que le cinéma en "prises de vues réelles" veut faire croire à cette illusion - en assimilant à la réalité le résultat d'une convention - tandis que le cinéma d'animation témoigne toujours de la nature artificielle et subjective de cet ”animisme”. (On considère, bien entendu, un public adulte qui ne vit pas dans un milieu où l'animisme est une croyance traditionnelle).

Comme il se produit souvent dans les définitions, il y a des champs qui restent ambigus, des cas de figure qui ne sont pas facilement classables, car il n'est toujours pas évident de discerner l'origine ou la nature d'une situation de mobilité. Ainsi nous sommes invités à raisonner pour classer un phénomène ambigu qui se présente à nos yeux.  On peut voir quelques cas discutables:

Un être animé (vivant) qui reste immobile: Un être vivant peut rester parfaitement immobile - dans la nature on a plusieurs exemples de ce comportement d'autodéfense.  Filmé, d'une manière ou d'une autre cet être, ne dévoile pas sa nature de vivant. Selon son contexte il peut passer inaperçu, ou interprété comme autre chose. Par exemple on qualifie de vivant un caméléon dissimulé à partir du moment où on l'identifie avec certitude. Avant il était une tache insignifiante dans un décor. L'immobilité de cet être vivant annule l'effet d'animation cinématographique. Bien entendu on a le même résultat si on filme la surface d'un mur, mais là, l'immobilité est  le résultat attendu.

Un mouvement exogène: Le cas contraire, c'est un élément qui a un mouvement exogène, résultat de l'application d'une force externe et indépendante. Le mouvement des poils sur la fourrure d'un animal, ne prouve pas que cet animal soit vivant. Sachant la nature du vent et la flexibilité des poils, nous interprétons en général le phénomène. Néanmoins il peut y avoir des cas où cette interprétation n'est pas évidente. Ces cas sont plus ambigus car difficilement interprétables. Une porte qui s'ouvre toute seule, peut donner des frissons d'inquiétude si elle est vécue dans un contexte propice : Nuit, environnement désert, à la suite d'événements menaçants etc. Filmée, cette action appelle une interprétation et la raison fait appel au contexte : on entend ou pas le vent qui souffle, on sait l'absence ou la présence de personnes susceptibles d'être derrière la porte... (voir exemple dans ”Nosferatu” de Murnau). Ces exemples qui ne sont pas les seuls, tant dans la vie que dans le cinéma, font appel à une interprétation, rationnelle ou métaphysique, subjective ou objective selon les cas.

La qualification d'animé (vivant) tant dans la vie que dans le cinéma est soumise, on l'a vu, à une appréciation.  En conséquence la qualification de l'animé est subjective et non objective et généralisable. Dans ce sens, il ne s'agit pas d'une notion scientifique mais empirique. Un personnage filmé en pose, même si l'identification et l'appréciation sont très faciles, n'est pas considéré immédiatement comme animé, car il s'agit probablement d'une photo. À partir du moment où il bouge il le devient. Dans le cinéma, on constate que cette qualité est liée à une appréciation quantitative, c'est-à-dire, c'est si l'on utilise beaucoup ou peu de mouvement qui paraît inné. Un comédien filmé en "prises de vues réelles" qui joue incrusté sur un décor dessiné, n'est pas considéré comme de l'animation, dans la mesure où ce qui domine de sa présence c'est le sentiment de la copie de la réalité. De nombreuses techniques (Rotoscopie, ”Motion capture” etc.) élargissent la gamme et les nuances entre ce qui est perçu comme copie de la réalité et ce qui est délibérément création subjective, de sorte que l'on ne puisse pas délimiter clairement des catégories immuables. L'appréciation donc est également d'un ordre quantitatif pour distinguer ce qui est ou pas de l'animation.

 

Il est intéressant aussi d'insister sur le mot ”intentionnellement”. Un effet d'animation peut se produire automatiquement sous différentes conditions dans le cinéma et peut être expressif ou indifférent, il peut être même gênant, si par exemple un homme devant une fenêtre se transforme en femme par un effet d' ”animation parasite” introduit par une maladresse de montage.

Il faut faire la part entre ”effet d'animation” et ”expression par le mouvement attribué à des formes”. En tant que phénomène purement perceptif, l'effet d'animation peut être intentionnel ou pas. Mais en tant que forme de l'art cinématographique, seuls les cas intentionnels de la production du phénomène d'animation nous concernent. Ceci est valable pour l'ensemble du cinéma par ailleurs. Comme il le remarque Iouri Lotman, [4]  aussi paradoxal que cela puisse paraître, la précision photographique des plans cinématographiques, a empêché plutôt que facilité la naissance du cinéma en tant qu'art. Malraux le souligne également en disant que le cinéma naît en tant qu'art du moment où l'on divise en plans [5]. Avant il n'était qu'une admirable attraction foraine.

En cinéma d'animation, l'unité élémentaire, n'est pas le plan mais l'image, et parfois même des éléments à l'intérieur de l'image. De l'organe ou d'une cellule autonome de l'organisme on passe à la molécule. Une subdivision, qui loin d'être indifférente, pousse le matériau du cinéma à traverser le palier qui le transforme radicalement : Comme dans la loi de la dialectique, une évolution quantitative produit une transformation qualitative (l'eau en ébullition devient de la vapeur) ainsi dans le cinéma : une subdivision de son matériau produit un basculement de sens considérable : du cinéma d'illusion de la réalité on passe au cinéma d'animation.

 

En percevant un phénomène on essaie de l'interpréter. Un artefact réussi nous émeut, tandis que le résultat réussi d'un processus automatique, une fois identifié, change de catégorie esthétique: du ”beau artistique” il bascule aussitôt vers le ”beau naturel” pour utiliser des catégories classiques – ou, il se réduit au résultat banal d'un processus automatique. Encore que l'enregistrement automatique des images n'est pas un critère toujours discriminatoire. Les plantes qui ”grandissent en accéléré” filmées au laboratoire une image chaque minute, sont de l'animation… dans la mesure où ces images en succession provoquent un mouvement inédit, qui crée l'impression d'une source de mobilité innée aux plantes, cohérente et expressive.

Le cinéma s'appuie sur un matériau d'attraction foraine. Le cinéma d'animation également.

L'un et l'autre deviennent de l'art après avoir dépassé ce premier niveau d'illusion animiste. Mais là où le cinéma en prises de vues réelles devient de l'art en utilisant la narration, le découpage, la lumière ou le jeux des comédiens, le cinéma d'animation ajoute à cette liste un élément qui lui est fondamental,  sans pour autant constituer une condition sine qua non:  la création d'une expression par le mouvement attribué intentionnellement à des formes.

 

 



[1] Gilles Deleuze : ”Image mouvement”, André Bazin :”Qu'est-ce que le cinéma”. Andrei Tarkovski : ”Le temps scellé”.

[2] Alexeieff : Texte de la communication faite aux étudiants de l' IDHEC, les 8 et 15 Février 1966 sur la "Synthèse cinématographique des mouvements artificiels"

[3] Un obturateur est un disque sur un axe avec une ouverture qui peut varier. Il tourne 24 tours par seconde, et selon son ouverture permet à une petite ou grande quantité de lumière d'exposer la pellicule dans la caméra. Si on a une ouverture de 45°, ceci correspond à 1/8 d'un tour de l'obturateur - un tour entier correspondant à 360°. Il est évident que si on expose un photogramme par une ouverture de 45° et un autre par une ouverture de 180°, le deuxième photogramme a été exposé 4 fois plus longtemps, il a donc enregistré 4 fois plus de temps que le premier. Et pourtant l'un et l'autre correspondent à 1/24ème de seconde dans la projection...

[4]  Iouri Lotman: "Esthétique et sémiotique du cinéma" 1981

[5] Jean Mitry (Le cinéma expérimental, p. 13) cite André Malraux : "C'est de la division en plans, c'est-à-dire de l'indépendance de l'opérateur et du metteur en scène à l'égard de la scène même, que naquit la possibilité d'expression du cinéma - que le cinéma naquit en tant qu'art"…


Animation today, April 2008